Quelles qualités seyaient le mieux à Emile Quesada ? Sa joie de vivre
? C’est certain. Un indéfectible penchant pour
l’humour ? C’est encore plus évident. Mais ce qui
fit de lui un homme admirable à bien des égards,
c’est assurément son amour pour la famille. Un amour
inébranlable et véritable, en tant que fils, père,
oncle, ou grand-père. Aux dires de tous, sa présence
était rassurante et réchauffait les cœurs.
Emile s’est éteint dans la nuit du 8 au 9 février
2009, à l’âge de 83 ans. Il aura connu une vie riche
et mouvementée, parfois marquée par les épreuves,
toujours tournée vers autrui.

«
Je vous dirais encore deux mots : bra-vo ». « Tu es
habillé comme Gibaudan », ou « Gavatcho ». Le
goût d’Emile pour la dérision et la plaisanterie est
à jamais gravé dans la mémoire de ses proches.
Chacun a son souvenir, sa petite phrase inscrite dans un coin de la
tête qui le fait sourire dès qu’il y pense. Mais
avant de décrire ce caractère si agréable,
retraçons la vie d’Emile : il pousse son premier cri le 7
novembre 1925 à Cherchell, en Algérie. Il doit rapidement
faire face au décès de son père, Jean Antoine, que
Dieu décidera de lui enlever à l’âge de 6 ans.
Mais
Emile dispose dans sa vie d’un don du ciel inestimable :
Mathilde, sa mère. Une femme courageuse, charitable, et
profondément bonne. « Une sainte », avait-t-il
l’habitude de dire, qui élèvera seule ses sept
enfants de façon remarquable : Henri, Marcel, Pierrette,
Louisette, Jean, et René (avec Emile, bien sûr). Selon ses
propres mots, c’est à elle qu’il devait son
caractère exceptionnel, son humilité, son
abnégation. Elle qui n’oubliera pas de souhaiter à
ses petits-enfants (pourtant très nombreux !) un seul de leurs
anniversaires, malgré l’âge et
l’éparpillement qui caractérise la
communauté pied-noir. D’ailleurs, Mathilde,
cette mère cultivée et altruiste, avait d’abord voulu exercer un
métier tout à fait représentatif de sa
personnalité, avant d’y renoncer en épousant son
mari : institutrice. Pas étonnant !
C’est
donc dans cette famille heureuse et soudée qu’Emile
grandit, occupé à exploiter une ferme en gérance
à El Affroun. Il s’amusera beaucoup avec ses frères
et sœurs, et notamment Jean, dont il était très
proche. Elève dissipé, il réussira cependant ses
années d’écolier avec brio, obtenant sans
problème son certificat d’études. Adolescent, il
écrira des poésies d’une rare beauté
(qu’il cachera longtemps, par modestie). Il aurait pu poursuivre
des études, mais un événement tragique allait
marquer l’Histoire, ainsi que la sienne : la guerre…
De la guerre à la vie de père
Ses
frères aînés durent partir combattre. Lui resta en
Algérie pour s’occuper de la ferme. La culture de la vigne
fut son front. A cette époque, il vivait avec son neveu, Jean,
le fils de Louisette la soeur d'Émile (elle avait perdu son mari très jeune).
Emile le considéra toujours comme son petit frère. La
preuve, son surnom : « Titou », qu’il porte encore
aujourd’hui à l’âge de 75 ans !
Puis,
du haut de ses 17 printemps, alors qu’Henri, blessé lors
des combats, avait dû rentrer, M. Quesada prit la décision
de s’engager pour son pays. Il rejoint la Seconde Division
Blindée du général Philippe Leclerc en Angleterre.
La suite est dans les livres d’histoire. Emile a combattu la
barbarie nazie jusqu’en Allemagne, héroïque, comme
l’ensemble de ses camarades. Il restera très fier de cet
épisode de sa vie, mais choisira de peu en parler. En revanche,
une anecdote moins belliqueuse amuse encore aujourd’hui sa
famille : ses fiançailles avec une jeune Britannique. « Oh
my god ! On l’a échappé belle ! », plaisante
sa fille, Martine.
A
l’âge de 20 ans, retour en Algérie. Le jeune ancien
combattant réintroduit la vie civile en travaillant dans une
entreprise d’import-export de fruits, chez «
Fédélich », à Birkadem. Il y devient chef de
chantier. Un emploi comme un autre dans la vie d’un homme ? Pas
tout à fait : dans cette société, il fait la
rencontre de Henri Pasquié, chef comptable (puis PDG), et,
surtout, de Colette, sa fille. La rencontre de son existence. «
La femme de ma vie », ne tardera-t-il pas à
réaliser. Les deux amoureux se marient en juillet 1953.

Emile Quesada et Colette Pasquié - Quesada
Du bonheur de la vie de famille au malheur de l’exode
1954
: Ma grand-mère Colette donne le jour à Martine, leur premier enfant. Emile
est alors tenté par un emploi particulièrement bien
rémunéré dans les puits de pétrole du
Sahara. Mais devenu papa, il ne supporte pas la séparation
d’avec sa famille. Son absence durant les premiers pas de sa
fille est particulièrement difficile à accepter. Il
décide de rentrer travailler avec son beau-père Henri Pasquié …
et de rattraper le temps perdu : « Dès qu’il
rentrait du travail, il consacrait tout son temps à sa famille,
confie Martine. Tous les soirs, il faisait le magicien, me racontait
l’histoire de la chèvre de M. Seguin, m’apprenait
des poésies pour enfants. Il était d’une patience
infinie ».

Emile à Birkadem La
famille Quesada est heureuse. Le bonheur franchit même un nouveau
cap en 1960, à la naissance de Jean-Michel. Un bonheur
inébranlable, malgré le drame qui touche la
communauté pied-noir toute entière : la guerre
d’Algérie. L’entreprise «
Fédélich », elle, est en revanche gravement
impactée par le conflit. Emile part donc travailler dans une
société de peinture (à Birmandreïs), moins
touchée.
Jusqu’au
jour où la guerre le rattrape : un soir, alors qu’il sort
du travail, lui et ses collègues sont interceptés par des
indépendantistes. Ils échapperont à
l’enlèvement, et à une mort certaine, grâce
à sa connaissance de la langue arabe. Mais les employés
qui ne quitteront pas l’entreprise en même temps que lui
n’auront pas cette chance… Il organisera des recherches,
en vain. Cet événement le traumatise profondément.
Il se rend alors compte qu’il n’a plus le choix : lui et sa
famille doivent quitter le pays.
Les débuts d’une nouvelle vie
Les
Quesada arrivent en France en mai 1962, l’Algérie
définitivement derrière eux. La terre tant aimée,
celle qui les vit grandir, restera à jamais un regret pour
Emile. Mais il choisira de n’en garder que les bons souvenirs,
gravés éternellement dans son cœur. Les
débuts dans la mère patrie sont difficiles à tous
points de vue, mais il fait face. Après avoir tenté de
travailler dans les vignobles bordelais d’un oncle, en vain, il
se lance dans la gérance d’un hôtel à Nice :
l’établissement Saint-Louis, dont les parents de Colette
deviennent en partie propriétaires.

Les
affaires marchent plutôt bien, mais la nouvelle activité
laisse peu de temps libre : les époux travaillent sans cesse,
week-ends compris. Des vacances ? A condition que ses beaux-parents le
remplacent. Au bout de six ans, l’hôtel est revendu. Une
période noire débute alors et les galères
financières s’accumulent. Heureusement, début 1970,
Marcel, son frère ainé, lui fait une proposition
alléchante : travailler pour Rhône-Poulenc, à Lyon.
Avec sa fille Martine, ils décident de partir en éclaireur.

«
C’était très dur d’être
séparés de Maman et de Jean-Michel, mais les liens entre
mon père et moi se sont alors renforcés. Nous nous
sentions responsables l’un de l’autre », explique
aujourd’hui Martine. Logés chez son frère Marcel, ils ne tardent de
toute façon pas à trouver un logement dans la cité
des Gones, permettant la reconstitution de la famille.
Professionnellement, la situation d’Emile évolue
également dans le bon sens : du travail « au four »,
il devient rapidement chef d’équipe. Là, il fait
l’agréable connaissance de M. Basset, un personnage peu
fin mais très attachant dont sa famille entendra parler à
maintes reprises... et se lie d’amitié avec M. Camus,
« un modèle d’identification, peut-être une
sorte de figure paternelle qui manquait à Papa », estime
sa fille.

Emile devient grand-père
Plus
tard, Emile accédera même au poste de formateur. Il
s’épanouit dans son travail. Jusqu’au jour où
l’âge le rattrape : un début d’infarctus le
décide à tourner la page de sa vie professionnelle
mouvementée. Il se met alors en pré-retraite... ce qui
tombe plutôt bien : Martine met au monde Yann, son petit-fils, en
1982. Un grand événement pour lui, qui le rendra
particulièrement heureux. Emile sera un grand-père
exemplaire, celui que tout le monde rêve d’avoir. Toujours
disponible. Attentionné. Fier. Et plutôt actif...
«
Papichon », comme je l’appellerai bientôt (ma
grand-mère, elle, recevra le titre de « Mamichon »),
s’occupera de moi avec amour. Le même amour qu’il
avait su donner à ses proches tout au long de son existence. Et
il fera de même avec mes deux petits frères, qui nous
rejoindront en 1987. Notre bien-être sera sa préoccupation
principale. Il nous apprendra à jardiner, nous
émerveillera avec des tours de magie, nous fera visiter Lyon,
une ville chère à son cœur. Les ballades dans le
parc de la Tête d’Or (qui abrite un zoo) sont des souvenirs
impérissables.
Bien
sûr, je n’oublierai pas non plus son goût et son
talent pour le bricolage. Dans sa maison, comme dans la nôtre,
les gadgets fabriqués à la main étaient
omniprésents. Je me souviendrai également toujours de la
relation particulière qu’il entretenait avec ses
voitures... et pas n’importe lesquelles : uniquement des
Citroëns, s’il vous plaît !
Colette et Emile
Et je garderai en tête
à jamais nos grandes réunions familiales (à
Noël, à la plage, où sous la fraîcheur des
arbres de notre villa du Rouret), dans lesquelles notre papi se sentait
pour le mieux, auprès des siens.
Papichon, nous nous sentions
heureux, protégés, aimés auprès de toi.
Ton
souvenir est gravé dans nos cœurs pour
l’éternité...
Yann Cohignac, son petit-fils