SOMMAIRE DE "... Les lettres des amis de Birkadem" 
 
                          
                        



Le courrier de Yann Cohignac

Portrait d'un Birkadémois :

 Jules Emile Quesada dit « Papichon », un grand-père formidable

Le 9 mai 2010




Quelles qualités seyaient le mieux à Emile Quesada ? Sa joie de vivre ? C’est certain. Un indéfectible penchant pour l’humour ? C’est encore plus évident. Mais ce qui fit de lui un homme admirable à bien des égards, c’est assurément son amour pour la famille. Un amour inébranlable et véritable, en tant que fils, père, oncle, ou grand-père. Aux dires de tous, sa présence était rassurante et réchauffait les cœurs. Emile s’est éteint dans la nuit du 8 au 9 février 2009, à l’âge de 83 ans. Il aura connu une vie riche et mouvementée, parfois marquée par les épreuves, toujours tournée vers autrui.



« Je vous dirais encore deux mots : bra-vo ». « Tu es habillé comme Gibaudan », ou « Gavatcho ». Le goût d’Emile pour la dérision et la plaisanterie est à jamais gravé dans la mémoire de ses proches. Chacun a son souvenir, sa petite phrase inscrite dans un coin de la tête qui le fait sourire dès qu’il y pense. Mais avant de décrire ce caractère si agréable, retraçons la vie d’Emile : il pousse son premier cri le 7 novembre 1925 à Cherchell, en Algérie. Il doit rapidement faire face au décès de son père, Jean Antoine, que Dieu décidera de lui enlever à l’âge de 6 ans.

Mais Emile dispose dans sa vie d’un don du ciel inestimable : Mathilde, sa mère. Une femme courageuse, charitable, et profondément bonne. « Une sainte », avait-t-il l’habitude de dire, qui élèvera seule ses sept enfants de façon remarquable : Henri, Marcel, Pierrette, Louisette, Jean, et René (avec Emile, bien sûr). Selon ses propres mots, c’est à elle qu’il devait son caractère exceptionnel, son humilité, son abnégation. Elle qui n’oubliera pas de souhaiter à ses petits-enfants (pourtant très nombreux !) un seul de leurs anniversaires, malgré l’âge et l’éparpillement qui caractérise la communauté pied-noir. D’ailleurs, Mathilde, cette mère cultivée et altruiste, avait d’abord voulu exercer un métier tout à fait représentatif de sa personnalité, avant d’y renoncer en épousant son mari : institutrice. Pas étonnant !

C’est donc dans cette famille heureuse et soudée qu’Emile grandit, occupé à exploiter une ferme en gérance à El Affroun. Il s’amusera beaucoup avec ses frères et sœurs, et notamment Jean, dont il était très proche. Elève dissipé, il réussira cependant ses années d’écolier avec brio, obtenant sans problème son certificat d’études. Adolescent, il écrira des poésies d’une rare beauté (qu’il cachera longtemps, par modestie). Il aurait pu poursuivre des études, mais un événement tragique allait marquer l’Histoire, ainsi que la sienne : la guerre…

De la guerre à la vie de père

Ses frères aînés durent partir combattre. Lui resta en Algérie pour s’occuper de la ferme. La culture de la vigne fut son front. A cette époque, il vivait avec son neveu, Jean, le fils de Louisette la soeur d'Émile (elle avait perdu son mari très jeune). Emile le considéra toujours comme son petit frère. La preuve, son surnom : « Titou », qu’il porte encore aujourd’hui à l’âge de 75 ans !

Puis, du haut de ses 17 printemps, alors qu’Henri, blessé lors des combats, avait dû rentrer, M. Quesada prit la décision de s’engager pour son pays. Il rejoint la Seconde Division Blindée du général Philippe Leclerc en Angleterre. La suite est dans les livres d’histoire. Emile a combattu la barbarie nazie jusqu’en Allemagne, héroïque, comme l’ensemble de ses camarades. Il restera très fier de cet épisode de sa vie, mais choisira de peu en parler. En revanche, une anecdote moins belliqueuse amuse encore aujourd’hui sa famille : ses fiançailles avec une jeune Britannique. « Oh my god ! On l’a échappé belle ! », plaisante sa fille, Martine.

A l’âge de 20 ans, retour en Algérie. Le jeune ancien combattant réintroduit la vie civile en travaillant dans une entreprise d’import-export de fruits, chez « Fédélich », à Birkadem. Il y devient chef de chantier. Un emploi comme un autre dans la vie d’un homme ? Pas tout à fait : dans cette société, il fait la rencontre de Henri Pasquié, chef comptable (puis PDG), et, surtout, de Colette, sa fille. La rencontre de son existence. « La femme de ma vie », ne tardera-t-il pas à réaliser. Les deux amoureux se marient en juillet 1953.



Emile Quesada et Colette Pasquié - Quesada





Du bonheur de la vie de famille au malheur de l’exode


1954 : Ma grand-mère Colette donne le jour à Martine, leur premier enfant. Emile est alors tenté par un emploi particulièrement bien rémunéré dans les puits de pétrole du Sahara. Mais devenu papa, il ne supporte pas la séparation d’avec sa famille. Son absence durant les premiers pas de sa fille est particulièrement difficile à accepter. Il décide de rentrer travailler avec son beau-père
Henri Pasquié … et de rattraper le temps perdu : « Dès qu’il rentrait du travail, il consacrait tout son temps à sa famille, confie Martine. Tous les soirs, il faisait le magicien, me racontait l’histoire de la chèvre de M. Seguin, m’apprenait des poésies pour enfants. Il était d’une patience infinie ».


Emile à Birkadem


La famille Quesada est heureuse. Le bonheur franchit même un nouveau cap en 1960, à la naissance de Jean-Michel. Un bonheur inébranlable, malgré le drame qui touche la communauté pied-noir toute entière : la guerre d’Algérie. L’entreprise « Fédélich », elle, est en revanche gravement impactée par le conflit. Emile part donc travailler dans une société de peinture (à Birmandreïs), moins touchée.

Jusqu’au jour où la guerre le rattrape : un soir, alors qu’il sort du travail, lui et ses collègues sont interceptés par des indépendantistes. Ils échapperont à l’enlèvement, et à une mort certaine, grâce à sa connaissance de la langue arabe. Mais les employés qui ne quitteront pas l’entreprise en même temps que lui n’auront pas cette chance… Il organisera des recherches, en vain. Cet événement le traumatise profondément. Il se rend alors compte qu’il n’a plus le choix : lui et sa famille doivent quitter le pays.

Les débuts d’une nouvelle vie

Les Quesada arrivent en France en mai 1962, l’Algérie définitivement derrière eux. La terre tant aimée, celle qui les vit grandir, restera à jamais un regret pour Emile. Mais il choisira de n’en garder que les bons souvenirs, gravés éternellement dans son cœur. Les débuts dans la mère patrie sont difficiles à tous points de vue, mais il fait face. Après avoir tenté de travailler dans les vignobles bordelais d’un oncle, en vain, il se lance dans la gérance d’un hôtel à Nice : l’établissement Saint-Louis, dont les parents de Colette deviennent en partie propriétaires.




Les affaires marchent plutôt bien, mais la nouvelle activité laisse peu de temps libre : les époux travaillent sans cesse, week-ends compris. Des vacances ? A condition que ses beaux-parents le remplacent. Au bout de six ans, l’hôtel est revendu. Une période noire débute alors et les galères financières s’accumulent. Heureusement, début 1970, Marcel, son frère ainé, lui fait une proposition alléchante : travailler pour Rhône-Poulenc, à Lyon. Avec sa fille Martine, ils décident de partir en éclaireur.



« C’était très dur d’être séparés de Maman et de Jean-Michel, mais les liens entre mon père et moi se sont alors renforcés. Nous nous sentions responsables l’un de l’autre », explique aujourd’hui Martine. Logés chez son frère Marcel, ils ne tardent de toute façon pas à trouver un logement dans la cité des Gones, permettant la reconstitution de la famille. Professionnellement, la situation d’Emile évolue également dans le bon sens : du travail « au four », il devient rapidement chef d’équipe. Là, il fait l’agréable connaissance de M. Basset, un personnage peu fin mais très attachant dont sa famille entendra parler à maintes reprises... et se lie d’amitié avec M. Camus, « un modèle d’identification, peut-être une sorte de figure paternelle qui manquait à Papa », estime sa fille.



Emile devient grand-père

Plus tard, Emile accédera même au poste de formateur. Il s’épanouit dans son travail. Jusqu’au jour où l’âge le rattrape : un début d’infarctus le décide à tourner la page de sa vie professionnelle mouvementée. Il se met alors en pré-retraite... ce qui tombe plutôt bien : Martine met au monde Yann, son petit-fils, en 1982. Un grand événement pour lui, qui le rendra particulièrement heureux. Emile sera un grand-père exemplaire, celui que tout le monde rêve d’avoir. Toujours disponible. Attentionné. Fier. Et plutôt actif...



Agrandir 




« Papichon », comme je l’appellerai bientôt (ma grand-mère, elle, recevra le titre de « Mamichon »), s’occupera de moi avec amour. Le même amour qu’il avait su donner à ses proches tout au long de son existence. Et il fera de même avec mes deux petits frères, qui nous rejoindront en 1987. Notre bien-être sera sa préoccupation principale. Il nous apprendra à jardiner, nous émerveillera avec des tours de magie, nous fera visiter Lyon, une ville chère à son cœur. Les ballades dans le parc de la Tête d’Or (qui abrite un zoo) sont des souvenirs impérissables.





Bien sûr, je n’oublierai pas non plus son goût et son talent pour le bricolage. Dans sa maison, comme dans la nôtre, les gadgets fabriqués à la main étaient omniprésents. 
Je me souviendrai également toujours de la relation particulière qu’il entretenait avec ses voitures... et pas n’importe lesquelles : uniquement des Citroëns, s’il vous plaît !

Colette et Emile


Et je garderai en tête à jamais nos grandes réunions familiales (à Noël, à la plage, où sous la fraîcheur des arbres de notre villa du Rouret), dans lesquelles notre papi se sentait pour le mieux, auprès des siens.

Papichon, nous nous sentions heureux, protégés, aimés auprès de toi.
Ton souvenir est gravé dans nos cœurs pour l’éternité...

Yann Cohignac, son petit-fils



© Yann Cohignac  - Pour le site des amis de Birkadem 


*

Merci Yann,
pour ce bel hommage ! 

Vous qui n'avez pas connu Birkadem, vous avez su, avec délicatesse
et amour, dresser le portrait vibrant d'un Birkadémois, votre grand-père Emile Quesada.
Vous avez aussi évoqué deux familles bien connues au village que personne
n'aura oubliées, les familles Henri Pasquié et Fédélich.
(Photo de  M et Mme Henri Pasquié)

Merci d'avoir ainsi contribué 
à la mémoire collective des amis de Birkadem.

Votre décision de faire revivre cet être cher sur 
une de nos pages apportera certainement
du réconfort à tous les vôtres,
et vous nous en voyez
très heureux.

Transmettez s'il vous plaît
à votre chère grand-mère Colette Pasquié-Quesada
notre bon souvenir et nos pensées attristées
devant le deuil qui l'a frappée.

La famille Pérez

*



SOMMAIRE DE "... Les lettres des amis de Birkadem"