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La maison dans le Sahel
Georges Lévy
Je
ne suis pas Birkadémois mais j’ai bien connu Birkadem pour y être allé
souvent dans mon enfance alors que nous habitions à Alger.
C'est
un grand-oncle de ma mère, Maître Joseph Meyer, notaire rue Jules-Ferry
à Alger, qui possédait une maison de campagne à Birkadem nommée
"Soultz-cottage", en souvenir de son Alsace lointaine où il était né.
Mais pendant les bombardements sur Alger en 1942-43, c'était devenu un
refuge pour toute la famille. Un tennis même y avait été prévu pour les
plus jeunes. Mais surtout, le jardin et le verger étaient magnifiques,
arrosés par l'eau fraîche d'une inoubliable Noria. À côté, un bassin
rectangulaire et profond retenait cette provision d'eau qui arrosait
par les caniveaux la terre rouge et fertile des potagers. En été, les
enfants, c'est-à-dire mes cousins et moi, nous nous aventurions dans
cette eau glacée.
Monsieur Yvars, qui habitait au
rez-de-chaussée était le maître d'oeuvre de ce jardin merveilleux. Avec
sa charrette, il descendait à Alger nous apporter quelques cageots de
primeurs si rares pendant les restrictions. Sa femme s'occupait du
poulailler, et moi j'étais au paradis, caressant le cheval, le chien de
garde et les chats et courrant après les poussins et les lapins. La
plus belle des " Leçons de Chose".
Mais après le débarquement,
la ferme fut réquisitionnée et des troupes Françaises composées de
Sénégalais ajoutèrent une note guerrière à la propriété, qui se remit
mal des dégâts causés involontairement par la troupe.
Quand nous
fûmes en âge de voyager seuls, les cars de l'A.C.B. nous transportaient
jusqu'à Birmandreis et Birkadem. De là nous allions à pied avec nos
raquettes de tennis pour y jouer, mais surtout pour y respirer l'air
enivrant de la campagne tranquille, cueillir des fruits à même l'arbre,
chercher à voir la vipère dans les murailles, ou briser entre deux
pierres les gousses noires des pins-pignons à la chair si délicate.
Je
ne possède, hélas, pas de souvenirs photographiques qui se sont
dispersés après l'Exil. Bien sûr que vous pouvez vous servir de ces
minces souvenirs pour essayer d'immortaliser Birkadem.
Moi aussi, j'ai cherché mais en vain des bruitages de norias, mais rien.
Mais le mieux serait de demander à un touriste d'enregistrer cette musique des godets, en Espagne !!
Recevez toutes mes amitiés ensoleillées.
Georges Lévy
Georges Lévy à aussi composé ce texte qui évoque ses séjours à Birkadem
À Birkadem
Fatigué de courir la campagne,
Essoufflé par la chaleur qui me gagne,
Je m'assois, empourpré, sur la muraille de pierre
Que recouvre un magnifique lierre, très vert.
J'ai les jambes griffées par les orties,
Et la Bardane* têtue colle à mes habits.
Je détache, vivement, mes petites sandales,
Dont la boucle de fer me faisait si mal:
Elles tombent sur une mue argentée,
Que l'habitant a changée pour sa tenue d'été.
Un scarabée mordoré, par le bruit dérangé,
Hésite un peu, et reprend sa course saccadée.
Un criquet audacieux, saute,sur ma main enchantée,
Et répare son erreur, par un bond décuplé.
Le papillon blanc,s ur le géranium, s'enivre à tout vent,
Lorsque le gros hanneton jaune passe, en vrombissant,
Et un lézard tout gris s'arrête, dresse sa tête,
Me regarde fixement, me souhaite bonne fête,
Et dans un trou disparaît lestement.
Tout là-haut, une buse inquiétante,
Cherche sa proie dans un buisson de menthe.
Je bats de mes pieds nus, l'air odorant,
L'air vibre de tous ces insectes charmants.
Ferme les yeux, écoute les grelots des Norias,
Qui montent l'eau, sur une musique de Ségovia*.
Je vois un figuier, cueille un gros fruit,
Qui perle une goutte de lait,
L'ouvre à deux mains, et plonge mes jeunes dents
Dans la chaire violacée,
Que le Bon-Dieu a fait naître, avant que l'homme ne soit né.
L'amandier à la branche compliquée,
Me tend son fruit vert et sa coque veloutée,
Je croque l'amande fraîche, détache la gousse blanche,
Elle est double. C'est vraiment un jour de chance.
J'ai dix ans, je rêve entre la terre et le ciel,
Je suis l'hôte d'une maison, dans le Sahel.
Georges Lévy. (Alger,1938-1962. Israël 2006 ).
*La Bardane,cette fleur pourpre, estivale, du bord des routes, qui s'agrippe
par ses capitules, et qui, ainsi, a inspiré l'inventeur du Velcro.
*Andres Ségovia,(1893-1987), Andalou, le père de la guitare classique.