SOMMAIRE DE "... SOUVENANCE" 


Le Ravin de la Femme sauvage

Marcel Pérez, le 11 mars 2009
« Marcel! Dépêche-toi! Si tu manques le car de 7 h 10 tu vas être en retard ».
Combien de fois l'ai-je entendu la sérénade ! Tous les matins je prenais le car rouge pour me rendre au Lycée. À moitié endormi je m'extirpais de la maison, je prenais mes jambes à mon cou et je filais vers le café du Roulage où attendaient une vingtaine de Birkadémois qui chaque jour à cette même heure s'exilaient vers la capitale.
Ma mère avait raison. Je me souviens de certains jours où j'avais manqué le car de 7h10. Le paisir de bavarder avec Monsieur Henri (Henri Bardey) conducteur chez Séfryed du rutilant car de 7h20, se transformait en vrai cauchemar. « Caisse de mort ! » criait-il aux camionnettes qui lambinaient dans les encombrements à l'approche de l'Agha. Arrivé au terminus de la Place du Gouvernement je me voyais obligé de courir encore comme un dératé. Il fallait, pour aller plus vite, emprunter l'Avenue du 8 novembre. Car passer par les arcades Bab-El-Oued était tâche impossible tant il aurait fallu faire d'éprouvants slaloms entre les badauds nonchalants.

La route qui partait du village jusqu'au lycée, je la connaissais par coeur ; une dizaine de kilomètres dont les deux premiers à travers la campagne. Les Vergers, Birmandreïs, ensuite Les Sources, Le Ruisseau ... puis nous étions déjà en ville. Si les noms des deux premiers arrêts n'évoquaient rien pour moi, il n'en était pas de même pour les autres qui me rappelaient immanquablement le fameux Ravin de la femme sauvage.  Ce ravin qui à une époque reculée, avant d'être défriché, commençait à Birmandreïs et descendait jusqu'au Ruisseau.
En fait, nous roulions, avec le car rouge,
le long de ce qui avait été le ravin.



Le Ravin de la Femme Sauvage!
 Ce nom si mystérieux qui avait frappé depuis longtemps l'imagination des enfants
que nous avions été. La femme sauvage! Son histoire, je me la suis construite
au fil du temps à partir de bribes glanées ça et là au cours des veillées.
 J'imaginais à quoi elle avait pu ressembler.

Je ne sais pourquoi,
je voyais
un visage aux yeux exorbités, aux traits fins malgré
la peau burinée, encadré d'une longue chevelure hirsute de couleur indéfinissable.
Je crois d'ailleurs que c'était ce même visage qui me venait à l'esprit
quand on nous parlait de la Folle de Chaillot, autre mystère
résolu bien plus tard lorsque j'appris
que la démente était Aurélie,
le personnage principal de
la pièce de Giraudoux.
Rôle créé sur mesure,
en 1945, pour
Marguerite Moreno
qui le joua au côté de Louis Jouvet.



Renoir (1881)



Au gré de mes recherches sur Internet, j'ai pu remarquer qu'on a dit bien des choses
au sujet de cette femme sauvage. Rien d'officiel cependant. Il s'agit toujours de sources anonymes.

Une version assez répandue met en scène une jeune femme du Ruisseau, veuve, vivant avec ses deux enfants qu’elle élève seule. Tous les lundis de Pâques, la maman et ses enfants partent en
 pique-nique dans la forêt du Ravin au terrain accidenté. Un jour, les deux enfants jouent, s'éloignent. La jeune femme, ne les voyant plus, les appelle sans résultat. Tous les efforts pour les retrouver sont vains. Pendant les années suivantes, les promeneurs terrifiés entendent, à l'occasion, les hurlements de douleur de cette mère
devenue sauvage qui court dans les bois à la recherche de ses enfants.

Puis un jour, le silence se fait.
La femme sauvage n'est plus.


D'autres versions mettent en scène une femme désespérée après la mort de son mari et de son bébé ;
un couple de jeunes mariés en voyage de noces capturé par les pirates et qui auront bien des mésaventures ;
une cantinière installée près du restaurant du Ravin.


J'ai voulu alors aller plus loin et fouiller dans les archives accessibles maintenant grâce à Google-Livres.
Mes recherches m'ont mené à un document ancien où l'on conte
une histoire
d'amours déçues, de soldats, et qui met aussi en scène
une cantinière.

 
Il s'agit de la page 90 du 

 « Guide à Alger - Environs d'Alger - Tissier Éditeur Imprimeur »

Le texte a un double avantage : il date de 1863 et on y cite un texte un peu plus ancien publié par Charles Desprez dans un ouvrage maintenant très difficile à trouver  « L'hiver à Alger -1861 »
Notons qu'il a aussi écrit « Alger l'été -1863 »





Bien que cela ne nous donne aucune garantie sur l'authenticité de ce que l'auteur relate de façon détaillée, cela nous donne au moins une version ancienne de cette légende, relatée seulement 17 ans après les faits, ainsi qu'une des rares descriptions du Ravin à cette époque.


Voici donc où nous sommes rendus!

Peut-être, un jour, découvrirons-nous d'autres sources plus fiables.
Mais en fin de compte, pourquoi vouloir à tout prix lever le voile sur ce mystère?
Nul doute que la femme sauvage fera encore rêver les gens.
Et quand nous ne serons plus là pour en entretenir la mémoire, le
Musée d'Orsay fera encore son œuvre en offrant aux visiteurs
la représentation que se faisait Renoir de ce Ravin
dont le nom intriguera encore
des générations
de curieux.


Merci Renoir !

Marcel Pérez


Quelques-unes des légendes de la femme sauvage:

Le site des anciens du Ruisseau - Alger

Les cinq versions de Aux Échos d'Alger

Le guide d'Alger complet de Tissier de 1863 peut être téléchargé au format PDF à partir de Google - Livres


©Marcel Pérez, le 11 mars 2009






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