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Des souvenirs, de page en page

Marcel Pérez

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Il y a quelques semaines, j’ai retrouvé au fond d’un tiroir où s’entassent de vieux souvenirs, le missel que j’avais reçu en cadeau lors de ma première communion, le 5 mai 1955.
Je ne l’avais pas rouvert depuis fort longtemps.

Bien à l’abri dans son coffret capitonné de satin doré, il m’est apparu comme au premier jour.

Missel de Marcel

Mes doigts ont glissé sur le cuir fin de sa couverture, sur ses tranches dorées, les motifs peints à l’or fin, et le visage d’émail de ce Christ extatique, serti au cœur du cuir, le regard tourné vers l’infini.

Il n’a pas dû souvent servir me direz-vous! Et vous aurez raison!

Je l’avais perçu dès le début comme un objet de luxe qu’il fallait traiter avec le plus grand soin. Les occasions où je l’ai utilisé étaient les grandes cérémonies, comme Pâques, Noël, les communions de mes amis plus jeunes. Par contre je me souviens l’avoir souvent étudié de très près pour apprendre les prières puisque non seulement je suivais la messe mais je la disais aussi chez moi, en latin, de mémoire, pour le plus grand plaisir de mes copains. On s’amusait ferme avec les choses de l’Église ! Mais avec beaucoup de sérieux, sans aucune ironie et sans le moindre complexe. C’était ma grande période mystique qui n’a duré que quelques années mais qui m’a tout de même marqué.

Lorsque j’ai rouvert ces pages pour les parcourir, j’ai d’abord été frappé par le fait que cet ouvrage n’était pas qu’un assemblage de textes sacrés, mais aussi un livre d’images. Ça, je l’avais oublié. On n’y trouve pas une seule page qui ne soit ornée de superbes illustrations couleur pastel. Toute la vie de Jésus s’y déroule, telle que nous la racontaient soit le Curé Roman, soit Sœur Jean qui nous faisaient le catéchisme le jeudi, parfois à l’église, parfois chez les Sœurs Blanches.

Pages du missel de Marcel


Et là, peu à peu, tous les souvenirs ont ressurgi.

L’odeur d’encens dans l’Église Sainte-Philomène, cette église où ma mère avait elle-même été baptisée et avait fait sa communion solennelle. 

Église de Birkadem

Image de communion de Béatrice Pérez - 1926

Détail


J'entends encore la voix du Curé Roman qui faisait son sermon, sa barbiche grise qui s’agitait lorsqu’il parlait et provoquait des sourires chez les garnements que nous étions de temps en temps. J'entends encore les chants de la chorale repris par les fidèles. Cette chorale qui a su au fil des ans ponctuer de ses voix, dont celle, très présente, de Mlle Bagur, les mariages, les décès, les baptêmes de notre communauté. Les regards furtifs échangés vers les rangées des filles. Armand Humbert, mon presqu’oncle, le marguillier, tendant le bras au moment de la quête, toujours de gris vêtu. Puis c’était le signal de la fin de la célébration, le Ite Missa Est suivi du carillon des cloches là-haut, à la volée, les saluts aux amis sur le parvis bondé...

Après la messe

... et enfin les petits gâteaux, achetés avec précipitation  à la pâtisserie ou la boulangerie, qui chez Pérez, qui chez Galiana, pour assouvir sa faim après la communion. Puis tout ce beau monde rentrait à la maison pour préparer le repas du dimanche.                                       

Entre les pages de mon missel m’attendaient d’autres surprises.
Des images pieuses, celle de Sainte Lucie, que j’avais découverte un jour lors d’une incursion dans la Cathédrale d’Alger.

Sainte Lucie

La sainte, qui m’était jusque-là inconnue, tient un plateau dans ses mains sur lequel ses yeux sont déposés. La scène m’avait frappé.

Celle de Sainte Rita, probablement rapportée par ma mère qui pendant des années s’est rendue avec assiduité à l’église Saint-Paul et Sainte-Rita à Belcourt tous les 22 du mois, car elle était, disait-on, la sainte des causes perdues.
 
Sainte Rita

Une dizaine d’autres cartes ont aussi fait revivre le passé. Des cartes de communion, celles que les familles distribuaient en souvenir aux amis et connaissances.

Galerie de cartes de communion Certificat de confirmation

Ainsi, en plus de ma propre carte et celle de ma retraite de communiant, j’ai retrouvé celles de Nicole Pérez ma cousine germaine que j’aimerais voir plus souvent, d’Yves Pérez mon cousin germain qui malheureusement n’est plus de ce monde, d’Annie Mabilat ma grande amie d’enfance, Henri et Jean-Marie Devot mes plus proches voisins et amis avec qui je jouais dans la ruelle et dans les champs, Gérard Lavallée dont la maman a été une amie si proche de la mienne, Paul Guidetti et Claude Sendra. Mais surtout, surtout, la carte représentant Notre Dame d’Afrique imprimée en 1954 à l’occasion des prix des mères remis chaque année par la Ligue féminine d’Action catholique aux mères méritantes de chacune des paroisses. Cette année-là, notre mère Béatrice avait reçu le prix des mères de la Paroisse de Birkadem, ce qui avait fait notre fierté à tous. Notre père et mes quatre frères et soeurs savions depuis toujours que notre mère était un être exceptionnel, c’était bon de voir que d’autres la reconnaissaient comme telle.

Prix des mères


Mon missel contenait aussi une dernière carte. Elle datait du 12 février 1956, jour du 30e anniversaire de l’arrivée du Curé Roman à Birkadem.
Le Curé Roman !  Quel personnage haut en couleur!

30e anniversaire du sacerdoce du curé Roman

Je reviendrai sur le sujet, mais auparavant il faut que je vous dise qui m’avait offert ce magnifique missel.

Il s’agissait de Madame Chalandeau. Une dame pour moi sans âge, probablement dans la soixantaine à l’époque, ancienne actrice, mariée à un journaliste. Un véritable phénomène, dans le bon sens du terme.

M. et Mme Chalandeau

Elle habitait dans l’immeuble Saya, rue Hoche, près de la gendarmerie, au-dessus de la famille Pace. Dans cet immeuble qui longeait le côté gauche de la Place Clémenceau, la grande place du village, vivaient  aussi beaucoup de gens que je connaissais. Comme les Fallour qui régnaient sur le kiosque à journaux juste au coin de leur rue tout près de l’arrêt des cars rouges, Mme Amar qui tenait un magasin rue Francis Mohring, près du rond-point de la route de Maison-Carrée, Mme Sabater qui cousait pour bien des gens dont ma mère, Mme Salva qui remaillait les bas. Mais aussi Mlles Mija dont la boutique était située juste à côté du Café du Roulage, et enfin les Ambrosino, avant qu’ils n’aillent habiter sur la route de la Colonie. Et si je m’étends sur le sujet, c’est que cet immeuble Saya, c’est aussi là que ma famille a vécu pendant plusieurs années avant qu’elle ne vienne s’établir dans la ruelle Carreras où je suis le seul à être né.

J’avais connu Madame Chalandeau alors qu’elle s’occupait du programme de la fête du village.

Programme de fête

Contenu du programme de fête

Il faut dire que depuis l’âge de 2 ans, à chaque fête, on me faisait chanter ou raconter des histoires au micro sur la grande place ou à la salle des fêtes.

Marcel au micro

Mme Chalandeau est devenue peu à peu mon impresario. Elle trouvait pour moi des textes qui convenaient à telle ou telle occasion, les écrivant parfois, et elle me suivait dans ma progression. Mon premier public était bien sûr ma famile, J'avais le soutien indéfectible de mes parents, mes frères et mes soeurs. Ma mère était ma première conseillère, me faisait répéter, m’accompagnait partout où je devais me produire. Et quand elle en était empêchée, c’était Mme Chalandeau qui prenait le relais. Elle a joué le même rôle auprès de Geneviève Pace qui, elle, s’intéressait à la danse classique.

Geneviève Pace

Elle lui a d’ailleurs aussi offert en cadeau son missel et sa robe de communiante.
C’est aussi Madame Chalandeau qui nous a poussés à nous inscrire au Conservatoire d’Alger, chacun dans sa spécialité. Il y a quelques jours, Geneviève me disait qu'alors qu'elle avait à peine 6 ans, c'est  Madame Chalendeau qui lui a fait rencontrer Mona Gaillard la directrice des cours de danse à l'Opéra d'Alger. De la même façon, elle m'a présenté à Mme Paule Granier qui a été mon professeur d'art dramatique au Conservatoire. Nous devons tous les deux beaucoup à cette femme talentueuse et généreuse de son temps qui nous encourageait à nous dépasser. Je l’ai revue en France avec beaucoup de plaisir à plusieurs reprises à Saint-Paul-de-Vence  au début de mon court séjour en France, nous nous sommes écrit lorsque j'étais à Glasgow en Écosse en 1966-67, puis nos routes se sont séparées.

Je reviens au Curé Roman. Alors que Madame Chalandeau préparait le contenu de la cérémonie en son honneur qui devait être donnée le 12 février 1956, elle m’a demandé de me préparer à lire en public un poème qu’elle venait d’écrire pour lui en remerciement de toutes ces années pendant lesquelles il s’était dévoué pour la Paroisse. Le jour de la cérémonie venu, j’ai lu le poème dans l’église. Ce poème, je l’ai toujours conservé, parmi d’autres de la même époque, écrit à l’encre bleue et signé, comme toujours, Chalandette.

Compliment au Curé Roman

Lorsque je le relis, je retrouve avec plaisir et nostalgie la plume habile de Chalandette, son sens de l’humour et son franc-parler, trait qu’elle partageait si bien avec notre Curé.

Le Curé Roman était donc heureux ce jour-là, et ses fidèles aussi.

Notre entrée au Conservatoire d’Alger allait cependant nous empêcher, Geneviève Pace et moi,  de fréquenter de façon aussi assidue notre église. Il nous fallait en effet tous les dimanches déserter le village pour nous rendre à Alger, Geneviève pour ses cours de danse, moi pour mes cours de diction et de théâtre. Cela nous faisait manquer les messes dominicales, ce qui, bien sûr, ne plaisait pas à notre curé, Il en avait même parlé dans un de ses sermons. Mais pour nous, la tentation était trop forte.

Au cours de ces quelques années, je me trouvais donc sept jours par semaine à Alger. Et  quand je désirais me recueillir dans une église, c’était parfois à la Cathédrale que j'allais, mais le plus souvent c'était rue Bab-el-Oued, sous les arcades, à l’église de Notre Dame des Victoires, un vrai havre de paix, à mi-chemin entre la Place du Gouvernement et mon lycée, le Lycée Bugeaud.

Pendant plusieurs années, malgré tout, ma foi n’a pas faibli. Ce n’est que plus tard que le doute s’est installé et que les grandes questions sur l'existence se sont posées. Mais à l’époque, pour me recueillir sans aller très loin, je grimpais souvent tout en haut de la colline de chez Juan, notre arrière-cour, pour contempler le paysage, aussi loin que possible en direction du sud.

Ma colline

Ce que je ne pouvais pas voir et que me masquait la montée vers Saoula, je l’imaginais sans peine. Je devinais la plaine déroulant son tapis d’ocre rouge et de verdure parsemé de villages et de fermes, hérissé de fiers clochers et minarets tendus vers les cieux comme une prière, de noirs cyprès, de châteaux d’eau et d’éoliennes, jusqu’aux premières hauteurs de l’Atlas Tellien. Je distinguais aussi la double raie d’argent de la voie ferrée qui passait derrière Birkadem près de Baba Ali en direction de Boufarik et Blida. Le train, nous ne l’avons jamais vu.  Mais, les soirs d’été, quand le vent soufflait du bon côté, alors que nous discutions sous la lune, chez nous, dans la cour ou que, au fond de la  ruelle, assis devant sa porte, nous étions suspendus aux lèvres de Madame Garrigos, notre voisine qui nous racontait des histoires de cimetières espagnols, ce train, ce train fantôme, nous l’entendions dans le silence de la nuit. Les claquements hypnotiques de l’acier de ses roues sur les joints des rails nous entraînaient alors dans sa course aveugle. Nous nous laissions glisser avec lui vers des villes lointaines que nous nous imaginions découvrir, émerveillés, quelques heures plus tard, dans la clarté du matin.

Ce train, invisible du haut de ma colline, je le voyais aussi clairement que les maisons qui escaladaient les pentes de la colline d’en face. Mon imagination était fertile, j’en usais beaucoup car j’ai toujours été attiré par ce qu’il y a là-bas, au-delà de la frontière du regard - ce qui me vaut peut-être d’être ici à Montréal aujourd’hui. Mais je n’aurais pas vraiment eu besoin d’y recourir pour trouver au cœur même du village des merveilles qui me transporteraient.

Il suffisait que je parcoure des yeux le panorama qui s’offrait à ma vue.

Le centre de Birkadem était  lové dans un écrin de verdure formé de trois collines. La  mienne, celle que nous nommions « Chez Juan » que d'autres nommaient « Chez Pitavy », que j’ai déjà décrite dans un autre texte. Celle d’en face, sans nom, qu’on pourrait appeler « La colline du Château d’eau », était plus haute encore et plus abrupte. Le long de son sommet courait la route dite « de la Colonie ». Sur les talus qui entaillaient ses pentes se nichaient les jardins, celui des Sorabella bien sûr, mais d’autres encore, des Mirouze et des Malinconis, ainsi que de coquettes villas et les cours des maisonnettes arborant fièrement des guirlandes multicolores de linge flottant au vent.  Nous pouvions l’escalader depuis la rue du 14 Juillet en passant par l’impasse Mas (Verger – Ferraro) qui se terminait par un sentier mi-escalier, mi-chemin de chèvre.
La troisième colline, on l’appelait souvent « La côte de chez Guelpa » du nom du médecin qui y avait sa propriété. Elle nous menait plein sud et était la continuation de la Route nationale N° 1.

Vue sur les trois collines

Je pouvais ainsi contempler au fil des saisons un paysage terrestre toujours en changement.

Mais, par-dessus cet écrin qui enserrait le coeur du village, du haut de ma colline, je n’avais qu’à lever les yeux pour jouir d’une autre vue, imprenable, à couper le souffle, bouleversante.

Le ciel.

Pas n’importe quel ciel.

S’y déroulait un spectacle sans fin, à chaque instant renouvelé.

La lente procession des nuages sous un dôme azuré me fascinait, comme elle avait dû, avant moi, fasciner des générations d’enfants, des poètes et tous ceux qui se posent des questions existentielles.
Comme eux, j’y cherchais tout ce que je voulais y voir et plus encore.

Lorsqu’il n’était pas d’un bleu intense et uniforme
Le ciel de Birkadem, était un ciel biblique.

Et je les ai encore dans mes yeux, ses couleurs,
Les mêmes que celles cachées au cœur de mon missel.
Tous les gris et les blancs, les roses et les verts
Des nuées s’étageant sur des fonds bleu pastel,
Et traversant l’espace comme d’immenses voiliers
Emportés par la brise
Bien au-dessus des toits,
Des sommets des collines,
Du faîte des platanes,
Du clocher de l’église,
Des talus sous mes pieds.

Le ciel de Birkadem, était un ciel biblique.
J’y puisais, à l’époque, tout ce qu’il me fallait.


 Montréal, novembre 2005



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