La
Boulangerie de l’Ancienne Poste poste, à
Birkadem,
vue par Béatrice Pérez (1916-2002) qui y est
née.
Préambule de Marcel Pérez
En
faisant du ménage dans un de mes deux vieux ordinateurs, je suis
tombé sur une lettre que j'avais complètement
oubliée, que notre mère avait écrite en 1995
à un journaliste très connu ici au Canada, Pierre Foglia,
qui tenait une chronique quotidienne au journal La Presse, le plus
grand quotidien francophone d'Amérique du nord.
Comme elle
rappelait dans sa lettre la date précise de la parution de
l'article qui l'avait tant intéressé, j'ai pu retrouver
sur internet, dans les archives de la Grande Bibliothèque de
Montréal, l'article qu'elle avait lu et auquel elle avait
réagi.
Dans sa chronique intitulée « Le
goût du pain » du 8 juin 1995, Pierre Foglia parlait de la
qualité du pain ou plutôt des divers types de pain
qu’on trouvait à l’époque dans les
boulangeries de Montréal.
Béatrice avait, en
lisant ce texte, fait un retour instantané à sa prime
jeusesse dans la boulangerie de ses parents.
Elle décrit
dans sa lettre avec une grande minutie la vie des boulangers qui se
déroulait alors sous ses yeux, et dans laquelle elle
était engagée avec
sa sœur et ses frères,
leurs efforts continus pour parvenir à créer non pas un
quelconque pain, mais "Le pain" sublime qui charmerait à coup
sûr ses clients et les fidéliserait.
Celle lettre
qui dépeint des moments de vie de nos parents et grand-parents,
et auxquels nous avons particité dans notre prime jeunesse,
nous avons le plaisir de les partager avec vous.
Puis mes sœurs poursuivront dans cette même direction.
Montréal, le 14 juin 1995
Cher Monsieur Foglia
Je
vous écris pour vous dire combien j’ai
été heureuse de lire et de
relire votre billet dans La Presse du 8 juin dernier,
intitulé « Le goût du pain
».
Dès
le début, j’ai voulu aller jusqu’au bout
de ma lecture, car, la phrase
«C’est pour marquer !», a fait
« Tilt » dans ma tête! Je me suis tout
d‘un coup revue devant un cahier plein de noms,
accompagnés de
chiffres, dont certaines lignes étaient barrées
(donc payées) et
d’autres qui traînaient plus longtemps avant de
l’être. Je me suis
aussi revue dans notre boulangerie que mon père avait
ouverte (comme
on disait en ce temps là) en 1922 (J’ai 79 ans !
). Elle s’appelait “
Boulangerie de la poste” parce que située
très près de la poste de
l'époque, à Birkadem près
d’Alger. (1)
Nous étions six enfants, le
dernier ne marchait pas encore. Fatigué d’aller
travailler chez des
patrons, où il ne gagnait pas suffisamment sa vie, pour
faire vivre sa
nombreuse famille. Il a donc décidé de
s’installer, non sans peine, car
il fallait de l’argent. Alors il a emprunté, avec
des intérêts à payer
bien sûr. C’est le carrossier, qui a fait le
pétrin et les planches, avec facilités de
paiement.
Quand
il a eu tout le nécessaire, il a commencé par
pétrir 50 kg de farine
(une demi-balle,) avec de l’eau, du sel et du levain. Il a
pétri le
tout à bras, c’est-à-dire en
retroussant ses manches, le buste penché
en avant, ses poings plongeant dans la pâte au fond du
pétrin, la
retournant de temps en temps, jusqu’à ce
qu’elle soit à point pour la
laisser lever.
Ensuite, c‘est ma mère qui coupait et pesait la
pâte, dont mon père faisait des boules
qu‘il alignait sur les planches,
en quinconces, pour les faire lever. Après il les
façonnait ( c’ était
le terme employé ) en baguettes ou pains d’ un kg.
Pendant ce temps, ma
mère, rentrait les fagots de bois pour faire chauffer le
four et le
pain gonflait sur les planches. Après cuisson, encore
bouillant, il
était badigeonné à l’eau,
pour lui donner une croûte brillante et bien
dorée, d’où
s’échappait l‘odeur du pain, du vrai,
qui embaumait tout le
quartier. Celui, qui était fait par des boulangers qui
dormaient le
jour et travaillaient la nuit.
Plus jamais nous ne mangerons
de ce pain-là, Monsieur Foglia, à moins que ce ne
soit en rêve comme je
le fais aujourd’hui, en vous écrivant !
Ils avaient peur de ne
pas arriver à le vendre, mais deux heures après
leur première fournée,
il n’y en avait plus. Le lendemain ils ont doublé
la quantité, même
chose, les cent kg disparurent en deux heures. Et cela n’a
pas cessé de
prospérer. Il a fallu acheter un pétrin
mécanique, à crédit et prendre
un homme de peine, pour que ma mère puisse se mettre au
comptoir.
Mon
père était parti d’Espagne,
très jeune avec ses parents, pour
s'installer à Alger où ils ont habité
au quartier de la marine, prés du
port, où vivaient beaucoup d’Italiens et
Espagnols, rue des trois
couleurs. C’est là qu‘il avait appris
à faire du pain, avec de la
farine, du sel de l ‘eau et du levain (pas de levure ). Il
faisait
aussi de bonnes pizzas, qu’ il appelait, lui,
pit’z, comme les Italiens
en ce temps-là. Elles étaient faites de la
même pâte qui servait pour
le pain. Il les faisait immenses, dans de grandes tôles. Une
seule
prenait deux ou trois kg de pâte, qu’il aplatissait
et garnissait
(après l’avoir laissée «
pousser ») de tomates fraîches très
mûres,
coupées en dés, de poivrons verts
coupés également, d’ail
coupé menu au
couteau et d’anchois dessalés, en morceaux, sur
toute la surface. Le
tout arrosé d’huile d’olive vierge. Il
les mettait à cuire dans un four
très chaud. J’en sens encore l’odeur et
le goût ! Mes quatre frères,
plus tard, ont continué à faire du bon pain. On
venait l’acheter de
très loin, il était le meilleur, bien
sûr...
La Boulangerie de la Poste est restée ouverte
jusqu’en 1962.
En
France nous n’avons jamais retrouvé le
même. Ici non plus d’ailleurs,
où je viens souvent en vacances, chez mes enfants. Tout ce
que j’ai vu
dans cet article, m’a transportée
jusqu’à mon enfance. Pendant que je
vous lisais, le goût, les senteurs, tout remontait en moi, le
bruit du
raisin, craquant sous la dent, avec la croûte du pain
français. Tout ce
que vous dites si bien est vrai et jusque dans les moindres
détails.
C’est ce que j’éprouve exactement et que
je pense, après vous avoir lu!
Je suis d‘accord aussi sur ce que vous dites au sujet de
toutes
ces sortes de pain, qui n’ont du pain que le nom! Une seule
fois, je me
souviens, j’ai retrouvé l’odeur du pain
et du fournil. Ce devait être
en 1971, à Montréal, oui, oui! Chez un boulanger
grec. Mon fils m’y
avait accompagnée. C’était au coin des
rues St. Dominique et Roy. Hélas
le magasin n’est plus là aujourd’hui.
J’y avais revu la même façon de
travailler, les mêmes planches, les mêmes toiles de
sac sous le pain,
un pain qui avait presque le goût de notre pain ... et aussi
le teint
grisâtre du boulanger, qui travaillait la nuit et qui dormait
le jour.
Cela aurait pu être vrai, ça
l’était presque !
Merci de m’avoir fait rêver Monsieur
Foglia!
Béatrice Pérez
(1) La boulangerie a pris le nom de "Boulangerie de
l'Ancienne Poste" lorsque le bureau de poste a
été relocalisé dans le bâtiment de la mairie.
*
La fille des boulangers
Poême de
Paulette Pons-Pérez
03/04/05
La Boulangerie de la Poste, créée par François Pérez, mon grand-père en 1922,
était située au numéro 73 rue du 14-Juillet, en face du café Torrent.
Quatre-vingt-cinq années qu’une petite fille est née.
Comme elle était jolie, la fille du boulanger,
La quatrième enfant de Grand-père et Mémé.
Ils avaient eu Marie, François, Antoine, déjà,
Mais avec Béatrice, pour la quatrième fois,
Comme à chaque naissance, ils seraient fous de joie.
Les trois premiers garçons, ouvriers de leur père,
Un jour partirent au loin. Au loin pour faire la guerre.
Mémé s’était remise, comme avant leur naissance,
Au four et au moulin. Sans jamais de vacances.
Quand nous dormions là-haut, dans la chambre aux murs blancs,
Nous entendions parfois, un son de clarinette.
Un concert que donnait François juste un moment,
Le temps de cuire, pains ronds, fougasses et baguettes,
Puis il rangeait bien vite le précieux instrument.
Nous entendions les rires d’Antoine et de René,
Quand les uns et les autres racontaient des histoires,
Avec les ouvriers, dehors sur le trottoir,
Puis au petit matin, ils rentraient se coucher.
Même si se posaient, en ces temps difficiles,
Des problèmes insolubles, il y avait le fournil,
Où l’on se réchauffait, où il faisait bon vivre.
Où le levain poussait. Où les senteurs enivrent.
Le pétrin qui tournait, la pâte faisant des plis,
Sa courroie qui claquait, j’entends encore le bruit.
Sur le bord de la cuve, une petite tache d’or,
Que nous touchions d’un doigt, en tournant. Un trésor,
Que nous nous partagions. Je le vois encore luire.
Nous nous le disputions, jusqu’à ce qu’il s’enfuie,
Tel un soleil couchant, sur des épis de blé,
Continuant sa valse. Puis l’on se retournait.
Là, des mains façonnaient, comme celles d’un potier,
Des chefs-d’œuvre éphémères, que nous regardions naître.
Les yeux émerveillés, nous voyions apparaître,
Des formes rondes et douces, belles comme des dunes
Eclairées dans la nuit par un rayon de lune.
Avec une fine lame, on fendait le dessus.
C’était la touche finale. Le sourire du pain cru,
Que l’on déposait là, sur une longue planche,
Recouverte d’une toile, poudrée de farine blanche.
Puis il fallait attendre, avant l’enfournement,
Que le levain ait fait son travail, patiemment.
Dans le four, on voyait quelques fagots brûler.
Enfin, toutes les cendres il fallait retirer,
Pour que l’épaisse porte, telle la gueule d’un chien,
Puisse avaler sans fin son repas quotidien,
Nous le rendant, doré. Alléchant. Parfumé.
Puis, c’est dans des corbeilles tressées par les vanniers,
Qu’on transportait le pain,tout chaud, d’un pas pressé,
Pour l’exposer alors au regard des clients,
Sur de belles étagères. Comme on faisait avant.
Mais derrière le comptoir, les gens s’impatientaient !
Certains prenaient leur pain, puis partaient travailler !
Sur des plateaux en cuivre, rutilants de lumière ,
Il fallait le peser. Tout près de ma grand-mère,
Il y avait le couteau, qui tranchait d’un bruit sourd
Et dans l’indifférence, ces chefs-d’œuvre d’un jour.
En fin de matinée, arrivaient quelques femmes -
On eut dit des rois mages - pour faire cuire leurs plats.
Entraient dans le fournil, apportant leurs offrandes ,
Attendaient que l’on ouvre cette porte gourmande,
Puis repartaient chez elles, nous laissant plantés là.
Il fallait surveiller, quiches, gratins, tartes aux pommes.
Béatrice et Néna s’affairaient faut voir comme,
Autour de tous ces plats, à la sortie du four.
Puis repartaient jouer, s’en allaient faire un tour,
Dans le jardin derrière, faire cuire une grenouille.
Heureusement, agile, elle s’échappait d’un saut !
Résignées, les fillettes se préparaient des nouilles,
Dans une casserole, sur un petit fourneau.
Mémé, l’après midi, faisait des pâtisseries.
Des bûches enrubannées. Des mounas. Des biscuits,
Et d’autres choses encore, qu’elle allait déposer
Dans la petite vitrine, puis elle se reposait,
Cousait, faisait les comptes. Béatrice, pour l’aider,
Faisait des additions, plus longues que son cahier.
Souvent recommençait, mordillant son crayon.
Elle en oubliait même d’apprendre ses leçons.
Quand Gilbert, à son tour, bien plus tard fit du pain,
Son père n’était plus là, depuis dix ans au moins.
Sa sœur aînée, Marie, fine comme un camée,
Avait déjà trouvé, belle chaussure à son pied.
François, Antoine, aussi Béatrice et René,
Qui lui, à trente-trois ans, allait rejoindre son père,
Laissant ses deux enfants, mais emmenant leur mère.
Que ce fut difficile, pour mémé. Quelle souffrance !
Elle était courageuse. C’est armée de patience
Et d’opiniâtreté, qu’elle a continué,
Etant seule à se battre contre vents et marées,
A faire tourner longtemps, le moulin de sa vie,
En gardant le sourire dans sa boulangerie.
Paulette Pérez-Pons
Aix en Provence, le 10 mai 2001
Béatrice Pérez est née en 1916, et nous a quittés en 2002.
Néna était son amie d’enfance.
Elle s’appelle, en réalité, Lucienne Llorens.
*Et pour en savoir plus sur Béatrice et Julot, lire le poême de
Andrée Pérez-Pace
« Ode à Béatrice et Jules, mes parents »
et plusieurs textes de Béatrice
Et pour en savoir encore plus, lire ...
Le goût du pain
de Pierre Foglia,
chroniqueur à La Presse, Montréal.
Archives de la Grande Bibliothèque
de Montréal
du 8 juin 1995, page A5
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