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Objets de la vie de tous les jours
Petites choses banales à l'époque, qui nous font aujourd'hui remonter dans le passé
Lorsque nous avons quitté Birkadem, ma mère ma soeur
Andrée et moi, le 27 juin 1962, c'était par avion.
Impossible, donc, d'emporter avec nous beaucoup de souvenirs. Des
photos, oui, mais pas toutes.
Tous les poêmes que j'avais
écrits dans ma jeunesse,
quelques textes scolaires, et des
petites choses banales
qui se sont retouvées là, par
hasard dans trois valises. Rien de bien précieux,
mais tout de même, une partie de notre histoire.
Les voici donc, en vrac.
Certains évoquent plus de souvenirs que d'autres,
mais chacun a eu sa place dans notre vie, à un moment donné.
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Ces cartes de voeux aux images d'Alger, nous les chérissions déjà à l'époque,
C'est que nous l'aimions cette ville. Pour sa blancheur, pour son architecture, pour sa beauté,
J'étais comme un poisson dans l'eau dans les rues d'Alger, ou en tous cas, du quartier que je fréquentais.
Je connaissais toutes les boutiques des arcades Bab Azoun et Bab el
Oued, très proches de mes destinations routinières,
le lycée Bugeaud et le conservatoire.
En sortant de classe lorsque j'avais un après-midi de libre, en quelques pas, je me rendais parfois au Jardin Maringo,
un jardin peu étendu mais très beau qui longeait les murs du lycée.
Parfois, en passant par le jardin je grimpais jusqu'au Musée du Bardot,
un lieu chargé d'histoire dont j'ai gardé un souvenir très vif.
Ce jardin s'étalait aussi quelque peu le long de la Rampe Vallée où habitait une de mes tantes.
Cette tante Félicie, la mère de ma marraine, j'allais la
visiter régulièrement dans mes premières
années de lycée,
et il m'arrivait de passer quelques jours chez elle et sa fille.
De leur appartement du sixième étage on avait une vue surprenante de Bab El Oued,
ses nombreux immeubles dont certains très modernes, la carrière Jaubert à flanc de colline
et peut-être même la Méditerranée dont on n'aurait vu qu'une frange à l'horizon,
Le soir, pour moi, habitué à la noirceur de la campagne
qui s'étalait derrière chez moi à Birkadem,
les lumières de la ville étaient un véritable enchantement.
Je me prenais souvent
à inventer les vies des habitants des innombrables appartements dont les fenêtres luisaient dans la nuit.
J'y devinais des bonheurs et des drames, des regrets, des espoirs et
des victoires aussi dont je jouais au gré de ma fantaisie.
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Lorsque j'étais à l'école maternelle, du temps où Mme Bauvy était Directrice,
c'était Mme Buzutil qui nous faisait la classe, aidée dans son travail par Mlle Laporte.
Je revois la classe comme si c'était hier.
Je nous revois, manipulant gauchement des lames de papiers multicolores
pour en tisser des naperons carrés ou rectangulaires, ou
faisant de la charpie à partir de vieux linge donné par
les familles.
Charpie qui, nous disait-on, devait être envoyée sur le
Front pour être utilisée dans les hôpitaux de
campagne.
En 1947, la guerre de 39 était pourtant déjà terminée.
Je me demande parfois où sont passés ces sacs de charpie que nous avons produits.
Et si ce n'était qu'un prétexte purement
pédagogique pour développer notre dextérité
manuelle? (Là c'est le prof, en moi, qui parle!)
Je me souviens aussi des buchettes de couleurs que nous utilisions pour apprendre à compter.
Mlle Laporte, qui habitait près de la Boulangerie de mes
grands-parents, en face du Crédit Agricole et dont les parents
vivaient près du Café Baghdadi, dans la cour Kodja, a
joué un rôle particulier dans ma vie.
Amie de la famille, c'est elle qui a éveillé en moi l'amour de l'arrière pays.
C'est elle qui m'a fait connaître la Kabylie, Tizi-Ouzou, Azazga
où elle avait de la famille chez qui nous avons passé des
vacances de Pâques.
Je me souviens encore du marché d'Azazga,
de la hauteur, pour moi vertigineuse, des dromadaires que nous nommions toujours "chameaux".
À Birkadem, les chameaux étaient rares. Les seuls que
nous connaissions vraiment étaient ceux des
dromadaires des enseignes publicitaires de la Loterie
Algérienne (ou Nationale?) dont
on nous invitait à toucher la bosse afin d'avoir plus de chance
de gagner
le gros lot ! Il devait y avoir un grand nombre de clients qui se
laissaient prendre au jeu, si je puis dire, puisque la bosse avait
la plupart du temps perdu ses couleurs, usée qu'elle
était par de multipes mains avides !
Quel enfant pouvait résister à la tentation de poser sa
main sur la bosse. Les parents se pliaient le plus souvent au caprice
de leur rejeton, ne serait-ce que pour le faire taire, en le
soulevant pour qu'il atteigne l'innaccessible objet,
De temps en temps, des marchands ambulants venus du Sud passaient de
maison en maison pour vendre de l'huile ou des dates, tirant
derrière eux leur monture et drainant une nuée d'enfants
tout ébahis de voir passer ces créatures mythiques,
indissociables de la culture du pays, mais si loin de notre
réalité quotidienne.
Un jour, un groupe de ces marchand avaient "garé" leurs montures
au bas de notre ruelle. l'impasse Carreras, pour discuter avec des
clients. Trouvant le temps long, les dromadaires se sont mis à remonter
distcrètement la ruelle,
Arrivés au bout du chemin, ils s'empêtrèrent dans
le réseau de fils de fer qui servait d'étendoir à
Mme Garrigos notre voisine d'en face et commencèrent à
rejimber. Ma mère, attirée par le raffut, alla voir
à la porte ce qui se passait. Elle souleva le rideau pour se
trouver nez à nez avec une monstrueuse tête au yeux
effarés et aux babines frémissantes d'écume.
La surprise fut de taille. Elle eut du mal à s'en remettre!
Le plus fort, c'est qu'un deuxième animal, au même moment, avait passé la
tête, le cou et la patte dans la salle-à-manger de Madame Garrigos qui, revenant de sa
cuisine, trouva la bête quasiment attablée et ... faillit ... défaillir.
Les plus beaux dromadaires, en fait, c'était dans les défilés militaires qu'on pouvait les voir,
montés par de fiers Touaregs, spectacle rare mais toujours frappant.
Envoyez-nous vos souvenirs, nous les afficherons pour vous !